- La décision d’exterminer les juifs n’a-t-elle pas été prise à la conférence de Wannsee?
- Qui prit au sérieux le livre de Kaufman, mis à part les nazis qui en firent un prétexte pour expulser de juifs?
La réponse en vidéo
Texte de la réponse
? Temps de lecture de cet article: 12 minutes
La décision d’exterminer les juifs n’a-t-elle pas été prise à la conférence de Wannsee?
Des déportations ingérables pour les gouverneurs de l’Est
Dans le cadre de la déportation des juifs à l’Est, certains devaient être mis au travail1 ; mais que faire des autres, les inaptes ? En pleine guerre, à l’heure des restrictions et les difficultés de toutes sortes, cette population représentait un fardeau. L’historien Christopher Browning décrit la consternation des autorités allemandes chargées de recevoir ces Juifs déportés : pour elles, c’était une charge supplémentaire, une charge lourde dont elles se seraient bien passées2.
De leur côté, Jürgen Graf, Thomas Kues et Carlo Mattogno citent une lettre de Wilhelm Janetzke, commissaire local de Minsk, adressée directement à Rosenberg en date du 5 janvier 19423. Cette lettre nous apprend que le commissaire s’opposa aux nouvelles arrivées de Juifs dans la ville : après les durs combats, Minsk était en ruines et à ses 100.000 habitants s’ajoutaient encore 7.000 juifs déportés et plus de 15.000 juifs russes qu’il était impossible de tous loger et également très difficile de nourrir. D’où cette demande de suspendre les déportations. Le 23 avril 1946, à Nuremberg, le gouverneur adjoint du Gouvernement général de Pologne Joseph Bülher, proche collaborateur de Hans Frank, expliqua :

photographie, VII.1942 (Narodowe Archiwum Cyfrowe).
Au cours des années 1940 et 1941, un nombre considérable de personnes, juives pour la plupart, furent amenées sur le territoire du Gouvernement Général, malgré les objections et les protestations du Gouverneur Général et de son administration. Cet apport de population juive en provenance d’autres territoires, constitua une mesure complètement inattendue, indésirable, et à laquelle nous n’étions nullement préparés, qui mit le Gouvernement Général dans une situation extrêmement difficile.
Le logement de ces masses, leur ravitaillement, les mesures sanitaires qui s’imposaient, par exemple la lutte contre les épidémies, dépassaient de beaucoup les possibilités du territoire. Particulièrement effrayante était l’épidémie de typhus qui sévissait non seulement dans les ghettos, mais aussi dans la population polonaise et parmi les Allemands du Gouvernement General. Il semblait que cette épidémie allait gagner le Reich et le front de l’Est.
C’est alors que l’invitation de Heydrich parvint au Gouverneur Général. La conférence devait primitivement avoir lieu en novembre 1941, mais elle fut ajournée à plusieurs reprises et elle a dû avoir effectivement lieu en février 19424. En raison des problèmes particuliers qui se posaient dans le Gouvernement Général, j’avais demandé à Heydrich une entrevue particulière, et il me reçut. À cette occasion, entre autres choses, je lui décrivis tout particulièrement les conséquences catastrophiques de l’introduction arbitraire de Juifs dans le Gouvernement Général. Il me répondit alors que c’était précisément pour cela qu’il avait invité le Gouverneur Général à cette conférence.
Le Reichsführer SS avait reçu, dit-il, l’ordre du Führer de ramasser tous les Juifs d’Europe et de les installer dans le nord-est de l’Europe, en Russie. Je lui demandai si cela signifiait que l’introduction de Juifs dans le Gouvernement Général allait cesser et si les centaines de milliers de Juifs qui y avaient été amenés sans l’autorisation du Gouverneur Général allaient être déplacés.
Heydrich me fit des promesses sur ces deux points5.
Les véritables décisions prises à Wannsee
Ce récit est très intéressant, tout d’abord parce qu’il confirme qu’à Wannsee, aucune extermination de masse ne devait être ni décidée, ni même organisée ; il s’agissait simplement de poser les bases d’une expulsion vers l’Est. Mais surtout, il rappelle les terribles difficultés auxquelles furent confrontées les autorités d’occupation là où les Juifs étaient déportés en masse : non seulement le ravitaillement et le logement posaient problème, mais le danger de graves épidémies menaçaient toujours. J’ajoute que les juifs requis pour le travail étaient séparés des leurs, ce qui occasionnait des drames humains, car de nombreuses familles juives se retrouvaient sans soutien, donc sans ressources. Dès lors, que faire de tous ces inaptes au travail ? Dans le cadre de cette guerre mort, une guerre impitoyable, ne serait-il pas plus simple de les tuer ? Certains y pensèrent. Le 16 décembre 1941 ainsi, alors que les grandes déportations avaient commencé, le Gouverneur général de Pologne, Hans Frank, expliqua à ses subordonnés :
Mais que faire des Juifs ? Doivent-ils, à votre avis, s’établir dans certains villages de l’Ostland ? On nous a dit à Berlin : pourquoi fait-on des difficultés ? Nous ne savons que faire avec eux dans l’Ostland ou dans le commissariat du Reich, liquidez-les vous-mêmes !6
Fin 1941 donc, des nationaux-socialistes voulaient en finir avec ces Juifs dont ils ne savaient que faire. Leur position paraissait d’autant plus légitime qu’en 1941, deux événements avaient entraîné une radicalisation de l’antisémitisme.