- Pourquoi envoyer les juifs à l’Est si ce n’était pour les exterminer?
- Pourquoi envoyer les médecins de l’euthanise à l’Est, si ce n’était pour équiper les camps de chambres à gaz?
La réponse en vidéo
Texte de la réponse
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La lettre docteur Wetzel (document N0-365)
Ici, vous me répondrez en invoquant le fameux document NO-365. Le 25 octobre 1941, le docteur Wetzel, membre de l’administration allemande, écrivit :
En référence à ma lettre du 18 octobre 1941 [sur la solution finale de la question juive], vous êtes informé que l’Oberdinstleiter Brack, de la Chancellerie du Führer, s’est déclaré prêt à collaborer à la construction des abris nécessaires et des appareils de gazages1.
Plus loin, il écrivait :
Les choses étant ce qu’elles sont, on ne doit pas avoir d’hésitation sur le fait qu’il faille en finir avec ces Juifs, qui sont incapables de travailler, en utilisant les méthodes brackiennes2.
Ce genre de document en impressionnera plus d’un. Mais il n’apporte pas la preuve qu’une extermination systématique aurait été décidée en haut lieu avant d’être perpétrée sur le terrain. Pour bien le comprendre, il est toutefois nécessaire de revenir en arrière et d’aborder plusieurs sujets.
Les causes des internements et déportions de Juifs pendant la guerre
Les nationaux-socialistes voulaient une Allemagne sans juifs : j’ai consacré un livre à la question3, et je n’y reviendrai pas ici. Après 1938, l’émigration juive fut favorisée. La guerre toutefois interrompit cette politique. Le statu quo aurait pu durer si, depuis le début du conflit, les Juifs n’avaient pas été considérés comme les principaux responsables de la guerre. Il faut dire que dès mars 1933, les associations juives mondiales avaient déclaré la guerre au Reich4 ; une guerre économique, certes, mais une guerre tout de même. Dans divers pays, elles avaient organisé le boycott systématique des produits allemands5. L’objectif était de précipiter la chute du nouveau régime.
En 1941 Hitler accusa les Juifs d’avoir poussé Staline à préparer une attaque surprise. Pour parer le danger, il avait choisi l’option de la guerre préventive : le 21 juin 1941, il avait lancé ses troupes à l’assaut de l’Union Soviétique. Les Juifs étaient donc vu comme des ennemis mortels. Or pendant une guerre, ces ennemis présents sur le sol national sont enfermés ou expulsés, souvent les deux6. Voilà pourquoi à la fin de l’été 1941, Hitler ordonna l’expulsion des Juifs hors du Reich.
Internement et déportation à l’Est de l’Europe
En septembre, Himmler proposa de les envoyer à Lodz, puis songea à Riga, Tallinn et Minsk7. Ce transfert vers l’Est fut l’objet de la conférence du 10 octobre 1941. Raul Hilberg explique :
Le 10 octobre 1941, lors d’une conférence sur la « Solution finale » au RSHA8, Heydrich déclara que Hitler désirait vider le Reich de ses Juifs, dans toute la mesure du possible, d’ici à la fin de l’année. Après quoi le chef du RSHA évoqua les déportations imminentes en direction de Lodz et mentionna Riga et Minsk. Il considéra même la possibilité d’expédier les Juifs dans les camps de concentration créés pour les communistes par les Einsatzgruppen B et C dans les zones d’opérations9.
On le voit : il n’était pas question d’exterminer quiconque, mais d’envoyer les Juifs à l’Est, avec comme destination Riga, Minsk et d’autres camps. Dans son ouvrage Les origines de la Solution finale10, Christopher Browning confirme. Après avoir mentionné cette réunion du 10 octobre 1941, il écrit que l’expulsion posait un premier problème :
[…] Où doivent aller les Juifs déportés d’Allemagne ? La réponse d’Himmler est de gagner du temps jusqu’au printemps suivant en les hébergeant pour l’hiver en partie à Lodz, mais principalement à Minsk et à Riga, ce qui ne manque pas de consterner les autorités locales allemandes des zones de réception11.
Il était donc bien question d’un refoulement et d’un hébergement temporaire à Lodz, Minsk et Riga, pas d’une extermination de masse.
Je note que la nouvelle de cette expulsion filtra. Le 28 octobre 1941, le Wilkes-Barre Record, quotidien américain, informa ses lecteurs que les Juifs allemands étaient expulsés en Pologne, principalement vers Litzmannstadt12, mais aussi vers Riga ou vers Minsk13. Dix jours plus tard, le San Bernardino Sun confirma que les Allemands avaient établi de grands ghettos, non seulement à Varsovie, mais aussi à Cracovie, Lublin, Lodz, Minsk et Riga14. L’envoi de nombreux Juifs vers ces deux dernières villes, où ils étaient logés, n’était donc pas une fiction, mais une réalité connu du monde entier15.
La mise au travail des Juifs aptes
Dans le cadre de cette déportation, les Juifs reconnus aptes au travail devraient être parqués dans des camps prévus pour les recevoir. Un rapport de l’Einsatzgruppe A16 le confirme. Sous le titre : « Juifs du Reich », on lisait :
Depuis décembre 194017, des transports de Juifs en provenance du Reich sont arrivés les uns après les autres. 20 000 de ces Juifs ont été dirigés sur Riga et 7 000 sur Minsk. Les 10 000 premiers Juifs évacués sur Riga ont été abrités pour une partie dans un camp d’accueil érigé en prévision et pour une partie dans un nouveau camp de cabanes près de Riga. Pour l’heure, les transports restants ont été conduits dans une partie séparée du ghetto de Riga.
La construction du camp de cabanes, pour laquelle ont été employés les Juifs aptes au travail, est si avancée que tous les Juifs évacués qui survivront à l’hiver pourront y être logés au printemps. Seule peut être mise au travail une petite partie des Juifs venus de l’ancien Reich. 70 à 80 % environ sont des femmes et des enfants ou des gens âgés incapables de travailler. Le taux de mortalité croît en permanence, aussi en conséquence de l’hiver extrêmement rude18.
De nombreux documents confirment cette mise au travail des Juifs reconnus aptes. Par exemple, le 3 avril 1942, le Wisconsin Jewish Chronicle rapporta que de nombreux Juifs de Lublin et de Cracovie étaient transportés vers le front afin d’y participer à la construction de fortifications19. Quant aux ouvriers spécialisés, ils étaient affectés dans des usines de guerre : 20 000 travailleurs de ce type (tailleurs, des couturiers et des charpentiers) avaient été exigés en urgence par les autorités allemandes.

« Photographies de différents camps de travail près de la piste sud [de l’aérodrôme]. » Photographies, vers juin 1943. Page 7 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018

« [En haut] Camp de Jaktorow [Yaktoriv] dans le district Zlocsow [Zolotchiv]. [Au milieu] Le dortoir. [En bas] la cuisine et la buandrie. » Photographies, vers juin 1943. Page 8 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018
À Nuremberg, l’Accusation produisit un rapport accompagné de photos sur la déportation des Juifs en Galicie20. Certains clichés illustrent l’aménagement d’un camp de la région, avec ses baraquements entourés d’une barrière (cf. figure 6.1), son dortoir, sa cuisine, sa buanderie et le personnel qui y travaillaient (cf. figure 6.2).

« Camps de Juifs Stupki [Stupky], près de Tarnopol [Ternopil]. 2000 Juifs y ont été déployés pour la construction d’une voie ferrée importante pour le réapprovisionnement du front. » Photographies, vers juin 1943. Page 9 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018
Une autre série de photos illustrent les différentes étapes de la déportation d’un village de Juifs : le rassemblement de la population et le départ pour le camp de travail, la fouille, la tonte la douche et l’épouillage (cf. figure 6.3).

« [En haut] Et un autre village juif déporté et transporté vers un camp. [Au milieu] Avant la fouille à corps, tous doivent s’allonger au sol.[En bas] Un à un, ils sont tondus, douchés et épouillés. » Photographies, vers juin 1943. Page 10 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018
Figurent encore plusieurs clichés illustrant les différents travaux effectués par les déportés : sur une page, des clichés montraient les réquisitionnés quittant leur camp pour aller travailler à la construction d’une voie ferrée (cf. figure 6.4) .

« Des Juifs dans une carrière près de Tarnopol [Ternopil]. Le matériel pour la piste sud [de l’aérodrome] est extrait ici, puis transporté par un petit train jusqu’à la ligne principale. » Photographies, vers juin 1943. Page 11 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018
Sur une autre, des photos de déportés extrayant des blocs de pierre dans une carrière pour construire une route (cf. figure 6.5). Notez d’ailleurs qu’une photo montre la locomotive qui tire les wagonnets : il ne s’agissait donc pas d’affecter ces Juifs à des travaux inutiles, juste bons à épuiser et à tuer, auquel cas ils auraient dû pousser ces wagonnets eux-même ; au contraire, les tâches étaient utiles, donc réalisées à l’aide de l’outillage adéquat. Sur la page d’après, des déportés amenant les pierres de la carrières jusqu’à un concasseur (cf. figure 6.6).

« Le long de la piste (d’aérodrome), des concasseurs broyaient sur place les pierres en provenance de la carrière. » Photographies, vers juin 1943. Page 12 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018

« [En haut] En route pour travail à la piste (d’aérodrôme). [Au milieu] Comme il n’y avait pas assez de brouettes au début des travaux, il fallut faire le travail “à la main”. Ce fut un peu fastidieux mais pas impossible!! [En bas] Un Kolonnen-Kapo (chef de groupe). » Photographies, vers juin 1943. Page 14 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018
Les photos de la page suivante montrent des Juifs travaillant à la construction d’une piste d’aérodrome (cf. figure 6.7). En bas, reconnaissable à son brassard blanc, un travailleur juif : celui-ci a été désigné Kolonnen-Kapo, c’est-à-dire chef d’un groupe de travailleur.

« [En haut] Construction d’une route en été. [En bas] Déblayage de la neige sur une piste (d’aérodrôme) en hiver. » Photographies, vers juin 1943. Page 12 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018
La page d’après montre encore deux scènes de travail (cf. figure 6.8) : sur le photos du haut, la construction d’une route sous la surveillance d’un civil armé et un muni d’un brassard blanc ; sur celles du bas, des hommes chaudement vêtus et munis de gants déblayent la piste d’un aérodrome.

« La nourriture est amenée sur les sites de construction par camion. » Photographies, vers juin 1943. Page 11 du Document L-018 : « Cover letter to SS Police Leader Krueger and report on the deportation, expropriation, and execution of Jews in Galicia (in Poland) », Harvard Law School Library, Nuremberg Trials Project, consulté le 29.I.2020, http://nuremberg.law.harvard.edu/documents/5230-cover-letter-to-ss?q=L-018
Enfin, la dernière page de photos montrer un camion-cuisine qui ravitaillait les travailleurs à l’extérieur du camp, ainsi que déportés mangeant sur leur lieu de travail (cf. figure 6.9). Pour terminer, je souligne que le document NO-365 lui-même confirme :
D’après les informations fournies par le Sturmbannführer Eichmann, le référent du RSHA pour les questions juives, des camps pour Juifs seront érigés à Riga et à Minsk, où les Juifs déportés du Vieux Reich seront sans doute envoyés. Pour l’heure, les Juifs évacués de l’Ancien Reich seront envoyés à Litzmannstadt, mais aussi dans d’autres camps, pour être plus tard utilisés comme travailleurs dans l’Est, à la condition qu’ils soient reconnus aptes au travail21.
Le sort des Juifs inaptes au travail d’après la thèse officielle
Cela dit, venons-en au cas des juifs déclarés inaptes au travail. D’après la thèse officielle, ils furent parqués dans des ghettos ; puis les ghettos furent liquidés et leurs habitants gazés à Treblinka, à Sobibor ou à Belzec. Cette histoire apparaît vrai pour la raison suivante.
Les historiens rappellent que de 1940 à 1941, en Allemagne, plusieurs dizaines de milliers de malades mentaux furent euthanasiés. Ils auraient été tués dans des “chambres à gaz” fonctionnant au monoxyde de carbone. C’était l’action T4. Or, à l’automne 1941, c’est-à-dire dès les premières grandes déportations de juifs vers l’Est, le personnel qui avait pratiqué l’euthanasie fut envoyé à l’Est. D’après la thèse officielle, il devait mettre à profit l’expérience acquise lors de l’euthanasie pour équiper Belzec, Sobibor et Treblinka de “chambres à gaz”.
Dans ce personnel figurait Viktor Brack. Bien que n’étant pas médecin, il avait supervisé le côté administratif de l’euthanasie en tant que n° 2 à la Chancellerie du Führer22. À son procès, il déclara que les handicapés avaient été tué avec du monoxyde de carbone contenu dans des bouteilles sous pression23.
Dès lors, nous disent les historiens, tout s’explique : lorsque le docteur Wetzel écrivait : « Les choses étant ce qu’elles sont, il n’y a pas d’objection si les Juifs incapables de travailler sont éliminés avec les moyens brackiens », il faisait référence aux “chambres à gaz” de l’euthanasie. Autrement dit : à Treblinka, à Sobibor et à Belzec, les Juifs inaptes au travail seraient exterminés avec du monoxyde de carbone. Telle est la thèse officielle qui — je l’admets sans peine — paraît solidement établie, tant par les documents que par la logique.

photographie, entre XI.1946 et IV.1947 (United States Holocaust Memorial Museum, avec l’aimable autorisation de Hedwig Wachenheimer Epstein).
Pourtant, un premier problème se pose : dans le document original, l’expression « moyens brackiens » ou « méthodes brackiennes » est au pluriel. Or, si le moyen avait été la “chambre à gaz”, l’auteur aurait utilisé le singulier.
Autre problème : si, dès la fin 1941, des spécialistes s’étaient rendus à l’Est pour construire des “chambres à gaz” homicides à Belzec, Sobibor et Treblinka, alors pourquoi ne seraient-ils pas aussi allés à Auschwitz afin d’y ériger des locaux de mort ? Il est vrai que dans ses aveux24, le commandant d’Auschwitz Rudolf Höss allègue qu’au moment de bâtir des installations homicides, il se serait rendu à Treblinka :
J’ai visité le camp de Treblinka pour y apprendre comment ont s’y prenait pour mener à bien l’extermination. Le commandant du camp de Treblinka […] utilisait du gaz monoxyde et je n’ai pas trouvé que sa méthode soit très efficace25.
Rudolf Höss n’a pas trouvé très efficace que le gazage au monoxide de Treblinka. Dans ses mémoires, il en donne la raison :
les résidus de gaz n’étaient pas toujours assez forts pour tuer ceux qui se trouvaient dans les chambres. Beaucoup d’entre eux avaient seulement perdu connaissance et il fallait les achever à coup de fusil26.
D’après ces documents, la méthode employée a Treblika aurait été inefficace car le mode opératoire relatif au gazage au monoxide de carbone aurait été totalement chamboulé : alors que dans les centres d’euthanasie, les Allemands auraient utilisé du monoxyde de carbone comprimé dans des bouteilles27, Rudolf Höss précise que dans les camps d’extermination, ils auraient produit ce gaz à l’aide de moteurs Diesel28.
Ce récit est devenu la thèse officielle : dans ces camps, les déportés auraient été « asphyxiés par les gaz d’échappement d’un moteur Diesel29 ». Les historiens officiels nou demande donc de croire que les autorités allemandes auraient envoyé dans l’Est un personnel riche d’une expérience en matière de gazages, mais qu’une fois sur les lieux, le mode opératoire aurait été changé sans qu’on sache pourquoi30, afin d’adopter une méthode vraiment peu efficace, à tel point que les autorités d’Auschwitz auraient opté pour l’assassinat au Zyklon B. C’est déjà ridicule mais ce n’est pas fini : dans le même temps, les historiens accrédités affirment que le gazage au moteur Diesel était très efficace : « À Treblinka, on pouvait tuer jusqu’à 15 000 personnes par jour31. » La comme ailleurs, la thèse officielle est un véritable tissu d’incohérences et de contradictions, car, sur ce sujet comme sur bien d’autres, les historiens se fondent en partie sur du vide, en partie sur des documents ou des faits mal interprétés, sortis de leur contexte.
Le personnel de l’Action T4 envoyé en renfort
Commençons avec l’envoi à l’Est, fin 1941, du personnel de l’action T4. À son procès, Viktor Brack en expliqua la véritable cause : en décembre 1941, Hitler ordonna l’envoi d’équipes médicales supplémentaires sur le front de l’Est, l’objectif étant d’aider l’Armée qui se voyait confrontée à un hiver très rude.
Le Führer ordonna à ce moment que mon institution médicale, que toutes les institutions sanitaires aurait à apporter leur aide, et parmi elle figurait l’institution de Bouhler qui s’était occupée de l’euthanasie32.
Cette explication n’est nullement mensongère, car à ce même procès, l’Accusation produisit des extraits de lettres écrites en 1941 et 1942 par un médecin allemand, le docteur Mennecke. Le 14 janvier 1942, il avait raconté à son épouse :
[…] Depuis avant-hier, sous la direction de M. Brack, une grande délégation de notre groupe se trouve sur le front de l’Est afin d’aider à sauver nos soldats blessés dans la glace et dans la neige. Cela inclut les médecins, les employés de bureau, les infirmières et les infirmiers d’Hadamar et de Zonnenstein, un détachement complet de 20 à 30 personnes33.
Or, Hadamar et Zonnenstein avaient été deux centres d’euthanasie. Convoqué comme témoin à charge, le Dr Mennecke confirma :
C’était avant la Noël 1941. Quand je suis arrivé à Tiergartenstrasse régnait une confusion considérable. Lorsque j’en demandai la raison, on me répondit qu’une grande partie du personnel de l’Association du Reich pour les institutions psychiatriques était employée sur le front de l’Est pour apporter son aide aux Allemands blessés, que les véhicules servant de la Compagnie de transport des malades étaient aussi utilisés et que de nombreuses personnes étaient parties pour l’Est34.
Il est clair que l’envoi à l’Est du personnel précédemment chargé de l’euthanasie était sans rapport avec une quelconque extermination de masse ; il s’agissait d’aider sur le front les nombreux soldats blessés et probablement aussi les victimes du typhus (j’y reviendrai bientôt). À l’époque, la situation sanitaire était si critique que les autorités allemandes du Danemark occupé publièrent des appels à l’adresse des médecins Juifs, les invitants à se porter volontaire pour exercer sur le front de l’Est, leur garantissant qu’ils seraient bien traités et bénéficieraient d’une paye élevée35.