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Texte de la réponse

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Que faites-vous de la déclaration commune des Alliés d’août 1943

L’envers de la déclaration alliée d’août 1943
Le texte originale

Le 10 août, donc le lendemain de la parution de l’article sur les prétendues suffocations à la vapeur à Treblinka, l’ambassadeur britannique auprès de Gouvernement polonais en exil à Londres transmit à son Gouvernement un aide-mémoire polonais parlant des mesures d’extermination prises par les Allemands1. Le deuxième paragraphe déclarait :  « Femmes, enfant et vieillards étaient envoyés vers les camps pour y être tués dans des chambres à gaz qui avaient précédemment servi à l’extermination de la population juive en Pologne2. » 

La correction britannique

Le 27 août, la déclaration était fin-prête. Elle avait été rédigée par les Américains. Toutefois, un changement d’importance avait été effectué : certes, le texte parlait toujours de femmes, d’enfants et de vieillards envoyés vers les camps pour y être tués dans des chambres à gaz3 ; mais de l’extermination des Juifs, il n’était plus question : après « tués dans des chambres à gaz4 », les auteurs avaient supprimé la fin du passage présent dans le texte polonais, à savoir : « qui avaient servi précédemment à l’extermination de la population juive en Pologne5. » En effet, si, pour les Polonais, l’extermination des Juifs était chose faite, il n’en allait pas de même pour les Américains. Preuve que les informations n’étaient pas fiables. 

Des recherches menées dans les archives classées secrètes britanniques récemment rendues publiques, ont permis d’exhumer un document qui apportent un éclairage nouveau sur la rédaction de cette déclaration commune des Alliés. Ce document est un compte-rendu qu’à la suite de la réception de l’aide-mémoire polonais, Victor Cavendish, président de la commission mixte du Renseignement britannique, fit parvenir à William Strang, haut fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères, le 27 août 1943. Le compte-rendu était accompagné d’une petite note qui expliquait : 

Mon compte-rendu arrive sans doute trop tard pour être utile, mais je suis certain que nous commettons une erreur en accréditant publiquement cette histoire de chambres à gaz6.

L’aide-mémoire de Roger Allen

Dans son compte-rendu, Victor Cavendish évoquait l’aide-mémoire polonais et citait les observations de Roger Allen, agent de liaison entre le Ministère des Affaires étrangères et les services de renseignement, qui, à propos des prétendus “chambres à gaz”, expliquait : 

[…] je suis un peu inquiet au sujet de la déclaration que le Gouvernement de sa Majesté s’apprête à publier, déclaration d’après laquelle des Polonais « sont maintenant systématiquement mis à mort dans des chambres à gaz ». 

En annexe de l’aide-mémoire polonais, je n’ai trouvé que deux documents qui font mention de ce mode d’exécution : 

(1) Le télégramme du 17 juillet 1943, de Pologne. 

« Le commandant en chef des forces armées du district de Lublin m’a informé qu’il possède la preuve que certains de ces gens sont assassinés dans des chambres à gaz là-bas » (camp de Majdanek). 

(2) Le télégramme du 17 juillet 1943, de Pologne. 

« Il a été établi que les 2 et 5 juillet, 2 convois de 30 wagons chacun, transportant des femmes, des enfants et des vieillards, ont été liquidés dans des chambres à gaz. » 

On notera que le premier de ces rapports ne précise ni la date de l’événement, ni le nombre de personnes concernées ; le deuxième n’indique ni le lieu, ni la source. 

Il est vrai que d’autres rapports mentionnent l’utilisation de chambres à gaz ; mais généralement, sinon tout le temps, ces références sont tout aussi vagues,  et qu’elles concernent l’extermination des Juifs, elles ont généralement émané de sources juives. 

Personnellement, je n’ai jamais réellement compris l’intérêt des chambres à gaz comparé à la mitrailleuse, plus simple, ou à l’affamement, tout aussi simple. Ces histoires sont peut-être vraies ou ne le sont peut-être pas ; quoi qu’il en soit, il me semble que nous publions une déclaration fondée sur des preuves qui sont loin d’être concluantes et dont il nous est impossible de juger la valeur. Cependant, peut-être ne considérerez-vous pas cela comme suffisamment important pour justifier une action.

[signé] Roger Allen7

Le compte-rendu de Victor Cavendish

Or, loin d’écarter ce rapport, Victor Cavendish le soutint au contraire : s’adressant au secrétaire d’État des Affaires étrangères, il souligna : 

À mon avis, il est faux de présenter comme « dignes de confiance » les informations polonaises concernant les atrocités allemandes. Les Polonais, et bien plus encore les Juifs, ont tendance à exagérer les atrocités allemandes pour échauffer nos esprits. Ils semblent avoir réussi. 

M. Allen et moi-même avons suivi d’assez près les atrocités allemandes. Je ne crois pas qu’il existe la moindre preuve, acceptable par un tribunal, que des enfants polonais ont été tués sur-le-champ par les Allemands alors que leurs parents étaient déportés en Allemagne pour y travailler, pas plus que des enfants polonais vendus à des colons allemands. Au sujet des Polonais mis à mort dans des chambres à gaz, je ne crois pas qu’une seule preuve ait été apportée. De nombreuses histoires ont circulé à ce propos, que nous avons rangées parmi les rumeurs au P.W.E8. sans croire qu’elles avaient le moindre fondement. En tout cas, il existe beaucoup moins de preuves que pour le meurtre en masse d’officiers polonais par les Russes à Katyn. Par ailleurs, nous savons que les Allemands ont l’intention de détruire les Juifs de tous âges, à moins qu’ils ne soient aptes au travail manuel. 

Je crois qu’en accréditant publiquement ces histoires de chambres à gaz pour lesquelles nous n’avons aucune preuve, nous affaiblissons notre position face aux Allemands. Ces exécutions de masse en chambres à gaz me rappellent l’histoire, pendant la dernière guerre, de l’utilisation des corps humains pour en récupérer la graisse ; c’était un mensonge grotesque qui a fait que les histoires vraies concernant des crimes graves commis par les Allemands ont été reléguées au rang de pure propagande9.

Notez que dès 1943, les Britanniques connaissaient le vrai coupable dans massacre de Katyn. Mais passons. 

Le texte final de la déclaration

Malgré son caractère tardif, cette demande fut acceptée : ayant souligné « l’insuffisance de preuves pour justifier l’affirmation concernant les exécutions dans des chambres à gaz10 », le Gouvernement britannique obtint la suppression complète du passage. Passés maîtres dans la propagande de guerre, les Britanniques, eux, n’étaient pas dupes de ces histoires de fantastiques abattoirs. Et en effet, lorsque, le lendemain, la déclaration commune parut dans toute la presse alliée, on y affirmait que les femmes, les enfants et les vieillards étaient « envoyés dans des camps11 », point final. Toute mention aux “chambres à gaz” avait disparue. 

Les Britanniques ne croyaient à ces “chambres à gaz” pour 1000 personnes

On me répondra que le Alliés avaient reculé « faute de preuve suffisante », ce qui ne signifiait pas « faute de preuve12 ». Certes, mais un fait survenu quelques mois plus tôt permet de déduire que les Britanniques, au moins, n’y croyaient pas.

À la mi-avril, l’Allemagne avait révélé la découverte des charniers de Katyn13. Recevant l’appui du Gouvernement polonais en exil, elle demanda une enquête de la Croix-Rouge internationale14. Prudente, celle-ci répondit qu’elle enverrait des médecins si, conformément à ses statuts, toutes les parties en cause (l’Allemagne, la Pologne et l’URSS) le demandaient15. La presse en conclut qu’aucune délégation ne serait envoyée, puisque la Russie ne le demanderait pas. C’était déjà un sacré aveu de culpabilité. Mais passons, là n’est pas le problème. Pour les Alliés — et plus particulièrement pour les Britanniques — c’était l’occasion de coincer l’Allemagne. Il suffisait de répondre : « Vous voulez une enquête de la Croix-Rouge à Katyn ? Fort bien, mais à la condition qu’une enquête parallèle soit menée à Auschwitz où l’on vous accuse de massacrer des innocents dans des chambres à gaz ». Pour les Alliés, c’était l’occasion rêvée d’obtenir une enquête ou — en cas de refus allemand — d’obtenir un aveu implicite de Berlin. Cependant les dirigeants alliés se gardèrent bien de formuler cette demande. Vous  me rétorquerez, Madame, qu’à l’époque, personne n’eut l’idée d’une telle manœuvre. Erreur.

En mai 1943, la presse américaine publia un éditorial de S. Burton Heath dans lequel on lisait : 

De façon compréhensible, les Russes furent offensés que les Polonais, quand ils demandèrent à la Croix Rouge de s’intéresser à cette histoire16, n’insistèrent pas pour qu’on vérifie aussi dans le tristement célèbre camp de concentration d’Auschwitz où il est raisonnablement permis de penser que la gestapo a tué 57 000 Polonais et Juifs par torture rapide ou lente17

Cet éditorialiste américain avait donc parfaitement compris le problème : exiger deux enquêtes parallèles, une à Katyn et une à Auschwitz, c’était la solution qui s’imposait d’elle-même si l’on voulait lever les doutes sur les “chambres à gaz”. Les dirigeants alliés laissèrent passer cette occasion en or, car qu’ils savaient, eux, à quoi s’en tenir. Ils n’ignoraient pas qu’en formulant cette demande, ils risquaient d’être perdants sur les deux tableaux : à Katyn — où la culpabilité soviétique serait reconnue — et à Auschwitz — où l’absence de “chambre à gaz” homicide serait établie. Fin 1943 donc, les dirigeants britanniques ne croyaient pas en l’existence des chambres à gaz, et ni les Américains, ni les Soviétiques n’avaient pu leur apporter la preuve du contraire.